Une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits est désormais admise devant le Conseil de prud’hommes.
C’est un revirement fracassant opéré par la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023, n° 20-20648).
Retour sur cet arrêt qui va bouleverser le contentieux prud’homal.
Sommaire
Qu’est-ce qu’une preuve déloyale ?
Une preuve déloyale est une preuve recueillie à l’insu de la personne que l’on met en cause dans le cadre d’une procédure, ou encore une preuve obtenue par une manœuvre ou un stratagème.
Les preuves déloyales n’étaient pas admises devant le Conseil de prud’hommes
Jusqu’alors, un juge ne pouvait jamais tenir compte d’une preuve obtenue de manière déloyale.
Cela valait pour les affaires civiles, commerciales ou sociales (Cass. soc. 4 juillet 2012, n° 11-30266).
Seul le juge pénal admettait ces preuves-là, devant le tribunal correctionnel par exemple (Cass. crim. 11 juin 2002, n° 01-85559).
Devant le Conseil de prud’hommes, les enregistrements sonores n’étaient pas des preuves recevables dès lors qu’ils avaient été réalisés à l’insu de la partie adverse, que l’enregistrement soit le fait de l’employeur ou du salarié (Cass. soc. 20 novembre 1991, n° 88-43120 ; Cass. soc. 23 mai 2012, n°10-23521 ; Cass. soc. 23 mai 2007, n° 06-43209).
C’est une jurisprudence acquise de longue date.
De la même manière pour les preuves obtenues par vidéosurveillance : lire ici
Les preuves déloyales sont désormais valables devant le juge
La Cour de cassation a radicalement changé de position et opéré un revirement fracassant le 22 décembre 2023, en Assemblée plénière (c’est dire le poids de ce revirement).
Désormais, preuve déloyale ou illicite ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats, c’est-à-dire à l’exclure de son analyse par les juges.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Il doit mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence (ex. : le droit à la vie privée).
Le droit à la preuve peut en effet justifier la production d’éléments portant atteinte à ces autres droits à la double condition :
- que cette production soit indispensable à son exercice, à savoir, la preuve apportée doit être la seule possible pour établir la vérité ;
- et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Ainsi, les transcriptions d’enregistrements clandestins d’entretiens en entreprise (par exemple, un salarié avec des représentants du personnel, ou avec un manager, son employeur ou un autre salarié) sont admises devant le Conseil de prud’hommes.
Cela va changer considérablement la manière de préparer les dossiers contentieux. Et va pouvoir faire basculer radicalement la décision qui n’aurait pas été la même avant.
Tant l’employeur que le salarié peut se servir d’une preuve déloyale devant le Conseil de prud’hommes, dès lors que la double condition est remplie.
La Cour de cassation n’a pas attendu pour faire application de sa nouvelle jurisprudence.
Dans un arrêt du 17 janvier 2024, elle a écarté un enregistrement clandestin, recueilli à l’insu des membres du CHSCT – donc une preuve déloyale – au motif qu’elle était disproportionnée au but poursuivi dans le cadre du procès (Cass. soc. 17 janvier 2024, n° 22-17474).
Dans cette affaire, il existait d’autres éléments de preuve. Cet enregistrement a été exclu des débats car il n’était pas indispensable.
Morale de l’histoire :
Pour que la preuve déloyale soit acceptée dans le cadre du contentieux prud’homal, il faut qu’elle remplisse les conditions de recevabilité, à savoir :
- être indispensable
- et porter une atteinte aux autres droits qui soit proportionnée au but poursuivi.
Pour savoir si cette double condition est réunie, il est vivement recommandé de consulter un avocat en droit du travail.
L’issue du procès est en en jeu !
Sources :
Cour de cassation, Assemblée plénière, arrêt du 22 décembre 2023, RG n° 20-20648
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 17 janvier 2024, n° 22-17474
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 4 juillet 2012, n° 11-30266
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 11 juin 2002, n° 01-85559
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 20 novembre 1991, n° 88-43120
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 3 mai 2012, n° 10-23521
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 23 mai 2007, n° 06-43209
Par Maitre Virginie LANGLET le 29 janvier 2024
Avocat au Barreau de Paris
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