La Cour d’appel de Reims admet la possibilité d’écarter le barème Macron

La Cour d’appel de Reims décide que le barème Macron d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse peut être écarté au cas par cas (CA Reims : 25.09.2019 : n°19/00003).

Le « barème Macron » d’indemnisation du licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Le code du travail dans sa nouvelle rédaction, consécutive à l’ordonnance dite « Macron » du 22 septembre 2017, impose au juge prud’homal de respecter un barème de dommages et intérêts (ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23 ; c. trav. art. L. 1235-3 nouveau).

Ce barème est fixé par l’article L1235-3 du code du travail.

Il encadre le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se matérialise par des tranches d’indemnisation, qui varient selon l’ancienneté du salarié -et la taille de l’entreprise s’agissant des TPE.

Il est tenu compte de l’effectif de l’entreprise pour le plancher du barème.

Toute action prud’homale engagée pour des licenciements prononcés à partir du 24 septembre 2017 se voit appliquer cette nouvelle règle.

Désormais, le montant de l’indemnisation est enfermé dans un cadre strict dont le plancher est très inférieur à 6 mois de salaire, même pour les salariés justifiant de 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise de plus de 11 salariés, comme c’était le cas avant l’ordonnance.

La contestation du « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause

Le barème Macron a été critiqué devant le Conseil d’Etat (CE 7 décembre 2017, n° 415243) et le Conseil Constitutionnel (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).

Le débat a été porté devant les Conseils de prud’hommes, qui depuis près d’un an maintenant, sont amenés à statuer selon des positions qui divergent d’un Conseil de prud’hommes à un autre.

Nous avons suivi dans ce blog les jugements de conseils de prud’hommes les plus marquants, pour plus de détails.

Les contestations portent sur la conformité des textes suivants au barème d’indemnisation :

  • l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
  • l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

L’Etat est intervenu en force avec la circulaire du 26 février 2019 dans laquelle le Ministère de la justice rappelle que le barème d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause a été soumis à la fois au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel et qu’il doit s’appliquer.

Un grand nombre de Conseil de Prud’hommes, depuis le début de l’année 2019 ayant décidé d’écarter le barème Macron, ont organisé la fronde judiciaire qui règne dans les prétoires.

Certains en revanche se conforment à ces dispositions et indemnisent le licenciement sans cause réelle et sérieuse en faisant une application stricte du barème Macron.

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation, en Assemblée plénière a tranché le 17 juillet 2017 : le barème Macron est conforme à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

Pour plus de détails, lire ici : https://www.cabinet-avocats-langlet.fr/fr/module/99/89/clap-de-fin-du-debat-autour-des-baremes-macron-la-cour-de-cassation-a-tranche

Malgré cet avis, on n’imaginait mal le calme revenir dans les juridictions du fond (Conseils de prud’hommes et Cour d’appel).

La résistance des juges du fond se poursuit : la Cour d’appel de Reims permet d’écarter le barème d’indemnisation

Comme nous l’avions pressenti dans nos précédents articles portant sur cette question, la fronde se poursuit malgré tout dans les Conseils de Prud’hommes réfractaires :

Plusieurs ont refusé de suivre l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019

  • CPH de Grenoble, 22 juillet 2019, RG n° 18/00267
  • CPH du Havre, 10 septembre 2019, RG n° 18/00413

Les premiers arrêts de Cour d’appel étaient également très attendus : Reims et Paris.

Reims a tranché en premier, Paris a prorogé son délibéré au 30 octobre 2019.

La Cour d’appel de Reims avait été saisie à la suite du jugement rendu par le Conseil de prud’hommes (CPH) de Troyes du 13 décembre 2018, qui avait écarté l’application du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse institué par les ordonnances Macron.

Le CPH de Troyes l’estimait non conforme à la convention 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) et à la Charte sociale européenne, qui prévoient le droit à une « indemnité adéquate » ou tout autre « réparation appropriée ».

La position de la Cour d’appel de Reims est une analyse en 2 étapes :

En premier lieu, elle affirme la conventionnalité « in abstracto » du barème Macron, c’est-à-dire de façon « objective et abstraite ».

Elle admet que la Charte sociale européenne puisse être invoquée par les parties. Elle considère que ce texte bénéficie d’un effet direct, comme la convention 158 de l’OIT.

Elle retient la conventionnalité du barème Macron, c’est à dire sa conformité à ces textes européens et internationaux.

Elle ajoute qu’une indemnité dite « adéquate » ou une réparation « appropriée » n’implique pas, en soi, une réparation intégrale du préjudice de perte d’emploi injustifiée et peut s’accorder avec l’instauration d’un plafond d’indemnisation.

En second lieu, elle considère qu’à côté du contrôle de conventionnalité « in abstracto » de la règle de droit elle-même, il faut également contrôler « in concreto » son application aux circonstances de l’espèce.

Selon la Cour, « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné, en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché ».

Et ce contrôle « in concreto » peut impliquer d’écarter la règle de droit jugée conventionnelle si elle affecte de manière disproportionnée les droits du salarié.

Pour cela, il est nécessaire que le salarié demande de réaliser ce contrôle « in concreto ». Le juge ne peut pas l’exercer d’office.

En l’espèce, la salariée n’avait demandé qu’un contrôle « in abstracto » du barème, et non « in concreto ».  La Cour d’appel n’a donc pas eu d’autre choix que d’appliquer le barème Macron, qu’elle a jugé conventionnel « in abstracto ».

L’employeur a finalement été condamné à payer 1 mois de salaire de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au lieu des 6 mois de salaire accordés par le CPH de Troyes. Il a été tenu compte de l’ancienneté de la salariée et de l’effectif de l’entreprise : la fourchette du barème Macron applicable à la salariée allait de 0,5 à 2 mois de salaire.

Sources :

Cour de cassation, assemblée plénière, avis du 17 juillet 2019 : n° 19-70010 et n° 19-70011 

Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23

Article L. 1235-3 nouveau du Code du travail

Conseil d’Etat, arrêt du 7 décembre 2017 : n° 415243

Conseil constitutionnel, décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31

Conseil d’Etat, arrêt du 19 octobre 2005 : n° 283471

Conseil d’Etat, arrêt du 10 février 2014 : n° 358992

Circulaire du Ministère de la justice du 26 février 2019

Conseil de Prud’hommes de Louviers, jugement du 10 mai 2019 : RG no 17/00373

Conseil de Prud’hommes de Grenoble, jugement du 22 juillet 2019 : RG n° 18/00267

Conseil de Prud’hommes du Havre, jugement du 10 septembre 2019 : RG n° 18/00413

Par Maitre Virginie LANGLET le 30 septembre 2019

Avocat au Barreau de Paris

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Tél : 01.84.79.16.30

www.cabinet-avocats-langlet.fr

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