Un salarié en congé de fin de carrière dont le contrat de travail est simplement suspendu peut saisir le conseil de prud’hommes contre son employeur pour des agissements de harcèlement moral subis pendant son congé (Cass. Soc. 26.06.2019 : RG n° 17-28238).
Harcèlement moral : définition
L’article L 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral :
les agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel sont interdits.
- Le harcèlement moral et les agissements répétés
Le harcèlement moral doit résulter d’agissements répétés de la part de son auteur.
Le harcèlement moral ne peut jamais porter sur un acte isolé, même si cet agissement est grave.
Les agissements répétés peuvent en revanche être de même nature (comme par exemple une mise à l’écart qui perdure dans le temps) (Cass. crim. 26.01.2016, n° 14-80455).
Le harcèlement moral peut être établi même si les faits répétés se sont déroulés sur une courte période (Cass. soc. 26.05.2010, n° 08-43152
- Le harcèlement moral et la dégradation des conditions de travail
Le harcèlement moral doit entrainer la dégradation des conditions de travail.
La dégradation des conditions de travail est en effet la conséquence des agissements de harcèlement moral.
La simple possibilité d’une dégradation des conditions de travail du salarié victime suffit à caractériser le harcèlement moral (Cass. crim. 06.12.2011, n° 10-82266).
Il n’est pas nécessaire que les agissements répétés fautifs aient eu initialement pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (Cass. crim. 26.01.2016, n° 14-80455).
En effet, il importe peu que l’auteur du harcèlement moral n’ait pas délibérément cherché à nuire au salarié.
- Le harcèlement moral et l’atteinte à la dignité, la carrière ou la santé du salarié victime
Les actes fautifs peuvent être qualifiés de harcèlement moral dès l’instant où ils ont entraîné une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la dignité ou à la santé du salarié, ou de compromettre son avenir professionnel (Cass. soc. 10.11.2009, n° 08-41497 ; Cass. soc. 15.11.2011, n° 10-30463).
C’est bien l’atteinte à la dignité ou à la santé physique et/ou morale du salarié qui doit être la conséquence des agissements fautifs.
De la même manière, si la situation professionnelle du salarié victime est menacée, mise en péril ou totalement ruinée, les agissements répétés seront caractérisés de harcèlement moral.
Action en justice en contestation du harcèlement moral
En matière de charge de la preuve, si le salarié présente au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, c’est alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (c. trav. art. L 1154-1 ; Cass. soc. 08.06.2016, n° 14-13418).
En matière de prescription d’une action en justice contre un harcèlement moral, le salarié victime de harcèlement moral peut engager une action devant le conseil de prud’hommes dans le délai de 5 ans (c. civ. art. 2224).
Au pénal, le harcèlement moral au travail est un délit. Donc le délai de prescription est de 6 ans (c. proc. pén. art. 8).
L’arrêt du 26 juin 2019 (Cass. Soc. 26.06.2019 : RG n° 17-28238) pose la question de la date des faits contestés et de la dispense d’activité d’un salarié.
En l’espèce, un salarié avait été engagé par la société France Télécom, devenue société Orange, le 19 août 1996, occupait le poste de directeur de l’agence grands comptes « banque-assurance-commerce ».
Il avait bénéficié à partir du 31 décembre 2006 d’un congé de fin de carrière avec cessation d’activité. Il était donc en dispense d’activité, jusqu’à être mis à la retraite le 1er octobre 2012.
Il avait également été élu au sein de diverses instances représentatives du personnel en 2009. Les mandats avaient couru jusqu’à son départ en retraite.
Il était donc toujours en lien avec l’entreprise.
Arès son départ en retraite, à la rupture de son contrat de travail, il a saisi le conseil de prud’hommes pour contester des faits de harcèlement moral, subis durant son congé de fin de carrière, entre 2006 et 2012.
Les faits dénoncés de harcèlement moral étaient les suivants :
- le refus par la société de fournir des outils nécessaires à son activité syndicale en le privant pendant deux ans d’un accès à l’intranet de l’entreprise,
- le refus de lui permettre d’assister aux réunions de délégués du personnel par télé-présence après la reconnaissance de son état de travailleur handicapé le 27 février 2012,
- des erreurs systématiques quant au calcul des cotisations de retraite complémentaire et supplémentaire,
- des erreurs quant au calcul de l’intéressement et de la participation.
Pour l’employeur et la Cour d’appel, puisque le salarié n’était plus en poste au moment des agissements contestés, il ne pouvait y avoir de dégradation des conditions de travail, qui rappelons le, sont un des éléments constitutifs obligatoires du harcèlement moral (article L1152-1 du code du travail).
La Cour de cassation, pour la première fois, n’est pas d’accord avec cette analyse des juges du fond.
Selon la Haute Juridiction, le contrat de travail n’était pas rompu mais simplement suspendu, du fait de la dispense d’activité générée par le congé de fin de carrière.
Les dispositions de l’article L1152-1 afférentes aux éléments constitutifs du harcèlement moral doivent donc s’appliquer.
Les juges du fond auraient dû rechercher si les faits dénoncés par le salarié laissaient supposer ou non l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
Il est donc possible, pour un salarié en dispense d’activité – période de suspension et non pas de rupture du contrat de travail- de se plaindre d’agissements répétés de harcèlement moral, contribuant à la dégradation de ses conditions de travail.
Sources :
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 26 juin 2019 : RG n°17-28238
Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 26 janvier 2016 : RG n° 14-80455
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 26 mai 2010 : RG n° 08-43152
Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 6 décembre 2011: RG n° 10-82266
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 10 novembre 2009: RG n° 08-41497
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 15 novembre 2011: RG n° 10-30463
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 8 juin 2016 : RG n° 14-13418
Par Maitre Virginie LANGLET le 5 juillet 2019
Avocat au Barreau de Paris
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