Relation amoureuse entre collègues : vie privée ou vie professionnelle ?

Une relation amoureuse entre collègues peut relever de la vie personnelle des salariés et ne pas constituer un manquement aux obligations découlant du contrat de travail (Cass. Soc. 16 décembre 2020 : n°19-14665).

Par principe, des faits tirés de la vie privée du salarié ne peuvent pas justifier un licenciement

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce principe de base : les faits relevant de la vie privée du salarié ne peuvent servir de fondement à un licenciement, voire un licenciement disciplinaire.

La Cour de cassation le rappelle régulièrement (Cass. soc. 3 mai 2011, n° 09-67464).

L’exception : les faits de la vie privée sont rattachés à la vie professionnelle :

  • s’ils se rattachent à la vie de l’entreprise (Cass. soc. 18 mai 2011 n° 10-11907)
  • et / ou s’ils constituent un manquement à une obligation du contrat de travail, comme par exemple un manquement (Cass. soc. 8 octobre 2014, n° 13-16793 ; Cass. soc. 24 octobre 2018, n° 17-16099 ; Cass. soc. 16 janvier 2019, n° 17-15002). :
  • à l’obligation de sécurité,
  • à l’obligation de loyauté ;
  • ou au devoir de probité du salarié

Les faits de l’arrêt du 16 décembre 2020 (Cass. Soc. 16 décembre 2020 : n°19-14665).

Dans cette affaire, un salarié formateur au sein d’un organisme bancaire entretenait une relation amoureuse avec une de ses collègues.

Cette relation était manifestement « tumultueuse », entre ruptures et sollicitations réciproques entre les 2 amants.

À la suite d’une nouvelle rupture, le salarié soupçonnait son ex-compagne d’entretenir une relation avec un autre collègue…

Poussé par un excès de jalousie, il avait pris la décision peu délicate de placer une balise GPS sur le véhicule personnel de son ex-compagne.

Très inspiré, il lui avait également adressé des courriels depuis sa messagerie professionnelle lui demandant de reprendre contact.

Son ex-amante lui avait pourtant, par courriel, demandé auparavant de cesser de lui écrire.

La malheureuse avait fini par alerter l’employeur, qui avait mené une enquête.

L’employeur avait alors considéré que ces agissements relevaient d’agissements de harcèlement, et qu’ils se rattachaient à la vie de l’entreprise. 

Pour l’employeur, ces faits s’étaient déroulés dans un cadre professionnel.

Le salarié avait donc été licencié pour faute grave (notamment pour harcèlement moral).

Il avait saisi le Conseil de Prud’hommes pour contester son licenciement.

Les juges se sont rangés du côté du salarié licencié, et ont considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L’avis des juges est le suivant :

  • les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral,
  • la relation amoureuse a pris fin de manière consensuelle, et non à la seule initiative de la salariée,
  • la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée,
  • l’envoi de courriels avait été opéré certes au moyen de l’outil professionnel mais s’était limité à 2 messages,
  • et surtout les faits n’avaient eu aucun retentissement au sein de l’entreprise ou sur la carrière de l’intéressée.

En conséquence :

les faits relevaient de la vie privée du salarié et ne constituaient pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail du salarié.

Les relations amoureuses au travail peuvent relever de la vie professionnelle

Cette décision est à prendre avec des pincettes, puisque la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de considérer qu’une relation amoureuse au travail relève de la vie professionnelle et peut donner lieu à sanction.

Tout dépend du contexte.

Le critère qui se dégage de la jurisprudence est le suivant :

L’impact de la relation privée sur la bonne marche de l’entreprise.

La question qui se pose est de savoir si l’attitude des amants, ou ex-amants, a entrainé des conséquences néfastes sur le fonctionnement de l’entreprise, ou la carrière de l’un des salariés en cause.

Dans cet arrêt du 16 décembre 2020 ce n’était manifestement pas le cas.

Mais parfois, les juges sanctionnent.

Par exemple, dans une affaire récente, la Cour de cassation avait considéré que les faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et justifiaient le licenciement pour faute simple du salarié, qui était le supérieur hiérarchique de la victime et avait, par son comportement, « perdu toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction » (Cass. soc. 25 septembre 2019 : n° 17-31171).

Autre exemple : un fait tiré de la vie privé du salarié peut justifier un licenciement non-disciplinaire, s’il atteint l’entreprise en créant un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise, compte tenu de la nature des fonctions du salarié et de la finalité propre de l’entreprise (Cass. soc. 20 novembre 1991, n° 89-44605 ; Cass. soc. 19 novembre 1992, 91-45579 ; Cass. soc. 30 novembre 2005, n° 04-41206).

Tout est histoire de nuance, et surtout de preuve.

Il convient donc de faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande réserve, lorsque l’on se lance dans une relation sentimentale avec un collègue ou un supérieur hiérarchique.

Les conséquences peuvent être irréversibles.

Sources :

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 16 décembre 2020 : RG n° 19-14665

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 25 septembre 2019 : RG n° 17-31171

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 3 mai 2011: RG n° 09-67464

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 18 mai 2011 : RG n° 10-11907

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 8 octobre 2014: RG n° 13-16793

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 24 octobre 2018: RG n° 17-16099

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 16 janvier 2019: RG n° 17-15002

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 20 novembre 1991 : RG n° 89-44605

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 19 novembre 1992 : RG n° 91-45579

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 30 novembre 2005, : RG n° 04-41206

Par Maitre Virginie LANGLET le 27 janvier 2021

Avocat au Barreau de Paris

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