Pressions de l’employeur + santé fragile du salarié = nullité de la rupture conventionnelle

Est nulle la rupture conventionnelle pour vice du consentement, lorsqu’elle a été signée dans un contexte de pressions exercées par l’employeur à l’égard d’un salarié dont la santé est fragilisée par les conditions de travail (CA Besançon 01.09.2020 : RG n° 18-02192).

La rupture conventionnelle et liberté du consentement des parties

La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’employeur ou le salarié (article L 1237-11 c. trav. ; Cass. soc. 23.05.2013 : n°12-13865 ; Cass. soc. 19.11.2014 : n°13-21979).

La rupture conventionnelle doit reposer sur le consentement libre et mutuel de chacune des parties, employeur et salarié.

Si le consentement de l’un ou de l’autre est vicié, la rupture conventionnelle est nulle et a alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 16.09.2015 : n°14-13830).

Il est bien évident que c’est le consentement du salarié qui est toujours vérifié, puisqu’il est considéré comme la partie la plus faible dans la relation employeur-salarié, en raison du lien de subordination qui préside au contrat de travail.

La rupture conventionnelle dans un contexte de conflit est-elle valable ?

Oui.

Le conflit peut résulter de différentes situations de faits.

L’existence d’un différend entre l’employeur et son salarié au moment de la signature d’une rupture conventionnelle n’affecte pas par elle-même la validité d’une rupture conventionnelle (Cass. soc. 26.06.2013, n° 12-15208 ; Cass. soc. 03.07.2013, n° 12-19268 ; Cass. soc. 15.01.2014, n° 12-23942)..

La Cour de cassation est très claire sur ce sujet : le conflit ou le différend ne représentent pas un vice du consentement, sur le principe.

De la même manière, en l’absence de preuve d’un vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas non plus la validité de la convention de rupture (revirement jurisprudentiel Cass. Soc. 23.01.2019 : RG n° 17-21550).

Les sanctions disciplinaires précédent une rupture conventionnelle, ne viennent pas, par principe, et selon le contexte, vicier le consentement du salarié : dans un cas dans lequel rien n’indiquait que le salarié avait signé la convention sous la pression de l’employeur (Cass. soc. 15 janvier 2014, n° 12-23942).

La rupture conventionnelle avec un salarié malade est-elle valable ?

Oui

Sur le principe, la rupture conventionnelle est valable avec un salarié déclaré inapte (Cass. Soc.09.05.2019 : n°17-28767).

La rupture conventionnelle est valable avec un salarié victime d’un accident du travail ou en maladie professionnelle (Cass. Soc. 30.09.2014 : n°13-6297).

La rupture conventionnelle avec un salarié malade en raison d’une souffrance au travail ?

Plutôt non … mais tout dépend du contexte et surtout si des pressions ont été exercées par l’employeur

La jurisprudence récente a mis en avant l’importance du contexte.

Tout d’abord, la Cour de cassation, le 8 juillet 2020 (Cass. Soc. 08.07.2020 : n°19-45441).

Dans cette affaire, une salariée s’était vue contrainte de signer une rupture conventionnelle qui avait été annulée.

En effet, la signature de la rupture conventionnelle avait été précédée de deux avertissements qui visaient en réalité à faire pression sur elle pour l’inciter à conclure une rupture conventionnelle, alors même qu’elle était suivie pour un syndrome anxio-dépressif.

Il y avait bien eu vice du consentement et la rupture conventionnelle avait été annulée.

Cette position est confirmée par un arrêt récent de la Cour d’appel de Besançon du 1er septembre 2020 (CA Besançon 01.09.2020 : RG n°18-02192).

Dans cette affaire, il ressortait que l’état de santé du salarié était fragile au moment de la signature de la rupture conventionnelle, en raison, d’une part, des pressions immédiates exercées par l’employeur et, d’autre part, de la détérioration plus ancienne de ses conditions de travail.

Le contexte de pressions était le suivant :

  • Une procédure de sanction disciplinaire avec convocation à l’entretien préalable à la mise à pied ;
  • Cette sanction de mise à pied n’était pas justifiée au regard des faits reprochés ;
  • La notification de la sanction comportait des allégations malveillantes relatives à ‘un trouble inadmissible parmi vos collègues, votre hiérarchie et nos clients’ ;
  • Au cours de sa mise à pied, le salarié avait reçu un SMS d’un collègue le prévenant que son ordinateur avait été enlevé de son bureau (selon son supérieur hiérarchique, il avait été placé dans le bureau du service technique) ;
  • Il avait reçu un courriel d’une déléguée syndicale dont le contenu est le suivant « j’espère que tu n’es pas trop affecté par ces manœuvres. De toutes façons, il n’existe pas de façon élégante pour procéder à cela. Bon courage. Tiens bon ».

L’état de santé du salarié avait été dégradé et rendu fragile en raison de ce contexte de souffrance au travail.

Le salarié justifiait de deux certificats médicaux pour le prouver :

  • Le médecin psychiatre indiquait que le salarié souffrait de troubles psychiatriques réactionnels à des souffrances au travail ayant entrainé de l’asthénie, des insomnies, des ruminations morbides et de l’anxiété nécessitant la prise d’anxiolytiques de de somnifères ;
  • Le médecin généralisteindiquait que le salarié était suivi pour angoisses, anxiété, insomnie, dépression paraissant directement en rapport avec ses conditions de travail, notamment en raison du comportement de sa nouvelle supérieure hiérarchique qui l’avaient conduit à un état psychique puis physique dégradé et à de nombreux arrêts de travail.

Les juges en ont conclu que les événements antérieurs à la signature de la rupture, compte tenu de l’état de santé fragilisé du salarié l’ont conduit à signer une rupture conventionnelle alors que sa liberté de consentement était altérée.

La rupture conventionnelle a donc été annulée.

Produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a perçu des dommages et intérêts à hauteur de 17 mois de salaire, pour une ancienneté supérieure à 18 ans (le salarié est âgé de plus de 53 ans).

Sources :

Cour d’Appel de Besançon, chambre sociale, arrêt du 1er septembre 020 : RG n° 18-02192

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 23 mai 2013 : RG n°12-13865

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 19 novembre 2014 : RG n°13-21979

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 8 juillet 2020 : RG n° 19-15441

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 16 septembre 2015 : RG n°14-13830

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 26 juin 2013 : RG n° 12-15208

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 3 juillet 2013 : RG n° 12-19268

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 15 janvier 2014 : RG n°12-23942

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 9 mai 2019 : RG n°17-28767

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 30 septembre 2014 : RG n°13-6297

Par Maitre Virginie LANGLET le 21 septembre 2020

Avocat au Barreau de Paris

8 rue Blanche – 75009 PARIS

Tél : 01.84.79.16.30

www.cabinet-avocats-langlet.fr

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