Les barèmes Macron toujours dans la tourmente

Le débat se poursuit autour de l’application ou non du barème Macron d’indemnisation du licenciement sans cause, devant les Conseils de Prud’hommes (CPH Longjumeau 14.06.2019 n° 18/00391 ; CPH Saint-Nazaire 24.06.2019 n° 18/00105), en attendant l’avis imminent de la Cour de cassation.

L’indemnisation du licenciement sans cause réelle ni sérieuse avant le « barème Macron »

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvre droit à une indemnité, au profit du salarié lésé.

Avant le 23 septembre 2017, dès que le salarié justifiait d’au moins 2 années d’ancienneté, dans une entreprise comportant plus de 11 salariés, il percevait une indemnité équivalente à au moins 6 mois de salaire si le licenciement était jugé sans cause réelle ni sérieuse (ancien article L.1235-3 du Code du travail).

Cette indemnisation venait en plus de l’indemnité de licenciement.

Si le salarié bénéficiait d’une ancienneté inférieure à 2 années dans l’entreprise, il lui suffisait de démontrer au juge le préjudice subi du fait du licenciement non justifié.

Les employeurs estimaient que ces indemnités étaient trop élevées et contrevenaient à l’embauche en CDI.

Le « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause réelle ni sérieuse

L’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a modifié en profondeur les règles d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse en remplaçant les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail.

Désormais le juge prud’homal doit respecter un barème de dommages et intérêts (ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23 ; c. trav. art. L. 1235-3 nouveau).

Ce barème qui encadre le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se matérialise par des tranches d’indemnisation, qui varient selon l’ancienneté du salarié. Et le montant de l’indemnisation est enfermé dans un cadre strict dont le plancher est très inférieur à 6 mois de salaire.

Il est tenu compte de l’effectif de l’entreprise pour le plancher du barème.

Toute action prud’homale engagée pour des licenciements prononcés à partir du 24 septembre 2017 se voit appliquer cette nouvelle règle.

La contestation du « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause

Le barème Macron a été critiqué devant le Conseil d’Etat (CE 7 décembre 2017, n° 415243) et le Conseil Constitutionnel (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).

Le débat a été porté devant les Conseils de Prud’hommes, qui depuis plusieurs mois, sont invités à statuer.

Les contestations portent sur la conformité des textes suivants au barème d’indemnisation :

  • l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
  • l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

L’Etat est intervenu en force avec la circulaire du 26 février 2019 dans laquelle le Ministère de la justice rappelle que le barème d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause a été soumis à la fois au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel et qu’il doit s’appliquer.

La position sans surprise du Ministère Public

La Cour de Cassation a été saisie par le Conseil de Prud’hommes de Louviers d’une demande d’avis portant sur la conformité du barème « Macron » avec les articles 24 de la charte sociale européenne et 10 de la convention 158 de l’OIT (CPH Louviers, 10.05.2019 no 17/00373).

Au cœur du débat, voici les questions qui sont soulevées :

  • le barème d’indemnisation permet il une réparation adéquate du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
  • le salarié dispose t il de voies alternatives afin d’obtenir une réparation complémentaire, en plus du barème,
  • le barème permet-il encore aux juges prud’homaux d’exercer leur pouvoir souverain d’appréciation.

Le 23 mai 2019, un avocat général s’est exprimé pour la première fois devant la Cour d’appel de Paris sur la question du barème d’indemnités sans cause réelle et sérieuse.

Il a demandé aux juges de la Cour d’appel de faire une application stricte desdits barèmes d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il a donc défendu, sans surprise, la conventionnalité du barème d’indemnisation prud’homale.

Il estime que ce barème n’empêche pas la réparation adéquate et appropriée du salarié en cas de licenciement injustifié.

Il estime que la détermination de l’indemnité versée, comprise dans le cadre du barème, entre un minima et un maxima, ne résulte pas uniquement de l’ancienneté du salarié mais d’une réflexion menée autour d’une part de son ancienneté et d’autre part de sa rémunération mensuelle brute.

Il estime que la reconnaissance d’un préjudice distinct de celui du licenciement sans cause est toujours possible.

Pendant ce temps, le débat devant les conseils de prud’hommes continue

Le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire (CPH Saint-Nazaire 24.06.2019 n° 18/00105) déclare le barème Macron applicable.

Il estime que les dispositions de l’article L 1253-3 du Code du travail prévoyant le barème d’indemnités ne sont pas contraires à celles de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

Il ne se prononce pas sur leur conformité à l’article 24 de la charte sociale européenne car il estime que ce texte n’est pas directement applicable par la juridiction prud’homale.

Quant au Conseil de Prud’hommes de Longjumeau (CPH Longjumeau 14.06.2019 n° 18/00391), en départage (une décision rendue sous la présidence d’un juge professionnel),  il reconnait un caractère facultatif au barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il va falloir attendre le 8 juillet, la position de la Cour de cassation, qui doit se prononcer sur l’avis dont elle a été saisie par le Conseil de Prud’hommes de Louviers, avec le risque d’insécurité juridique que risque d’entrainer une invalidation des barèmes tant décriés.

En effet, en cas d’invalidation, les barèmes Macron vont cesser immédiatement de s’appliquer.

Il n’y aura plus alors aucune règlementation applicable aux licenciements sans cause, plus aucune disposition du code du travail.

Comment seront alors indemnisés les licenciements sans cause réelle et sérieuse dans l’attente d’une nouvelle loi ?

Sources :

Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23

Article L. 1235-3 nouveau du Code du travail

Conseil d’Etat, arrêt du 7 décembre 2017 : n° 415243

Conseil constitutionnel, décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31

Conseil d’Etat, arrêt du 19 octobre 2005 : n° 283471

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 29 mars 2006 : RG n° 04-46499

Conseil d’Etat, arrêt du 10 février 2014 : n° 358992

Circulaire du Ministère de la justice du 26 février 2019

Conseil de Prud’hommes de Louviers, jugement du 10 mai 2019 : RG no 17/00373

Conseil de Prud’hommes de Longjumeau jugement du 14 juin 2019 : RG n° 18/00391

Conseil de Prud’hommes de Saint-Nazaire jugement du 24 juin 2019 : RG n° 18/00105

Par Maitre Virginie LANGLET le 5 juillet 2019

Avocat au Barreau de Paris

8 rue Blanche – 75009 PARIS

Tél : 01.84.79.16.30

www.cabinet-avocats-langlet.fr

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