Les barèmes Macron sont-ils définitivement applicables?

Le 11 mai 2022, la Cour de cassation confirmait l’application du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit barème Macron. Mais le Comité européen des droits sociaux (CEDS) n’est pas d’accord et son rapport vient d’être publié.

Qu’est-ce que le « barème Macron » d’indemnisation du licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Lorsque le licenciement est considéré sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de Prud’hommes, il prononce une indemnisation en faveur du salarié.

C’est la question du montant de cette indemnisation que l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 est venu bouleverser (nouvel article L 1235-3 du code du travail).

Pour tous les détails sur les nouveaux barèmes et sur le conflit judiciaire, lire ici.

Les questions soulevées par le débat judicaire

Un certain nombre de juges (Conseils de prud’hommes et Cours d’appels, chambres sociales), refusaient depuis 3 ans d’appliquer ce barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ils continuaient de tenir compte du préjudice concret subi et démontré par le salarié, et refusaient de s’enfermer dans un cadre limitatif.

Ces juges considéraient que ce barème est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à l’article 24 de la charte sociale européenne, qui prévoient le droit à une « indemnité adéquate » ou toute autre « réparation appropriée ».

Pour ces juges, ce barème était non conforme à ces textes, et était donc inconventionnel.

La Cour de cassation avait été saisie une première fois, par les Conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse pour avis.

Le 17 juillet 2019, la Haute juridiction avait estimé, dans deux avis, que le barème était conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT (Cass. Ass. Pl. avis 17 juillet 2019, avis n° 19-70010 et n° 19-70011).

Certains juges, encore réfractaires, sous l’impulsion des avocats, avaient poursuivi leur fronde et se battaient encore après les deux avis de la Cour de cassation.

Leur argument ? venir dire qu’il doit être possible d’écarter le barème lorsqu’il ne permet pas une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié (la fameuse appréciation « in concreto »).

Deux affaires ont été portées devant la Cour de cassation :

  • un arrêt de la chambre sociale de la Cour d’appel de Paris rendu le 16 mars 2021 : la Cour d’appel avait écarté l’application du barème, en octroyant à un salarié de 53 ans une indemnité de 32 000 € au-delà du plafond de 17 615 € (pour 4 mois de salaire) auquel conduisait le barème compte tenu de son ancienneté (moins de 4 ans) ;
  • un arrêt de la chambre sociale de la Cour d’appel de Nancy du 15 février 2021 : les juges avaient appliqué le barème.

Les arrêts de la Cour de cassation du 11 mai 2022 : le barème Macron s’applique

Deux arrêts du 11 mai 2022 de la Cour de cassation ont confirmé que le barème doit s’appliquer (Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-14490 ; Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-15247). 

La Haute Juridiction a en effet validé le barème et écarté toute possibilité pour les juges du fond d’en sortir au regard d’une appréciation concrète de la situation du salarié.

Pour juger le barème Macron légitime, la Cour de cassation a visé l’ensemble des textes applicables lorsqu’un salarié fait l’objet d’un licenciement non justifié.

Pour la Cour de cassation, le barème Macron répond à l’exigence de « réparation adéquate » posée par l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

Pour la Cour, cette exigence « d’adéquation » signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit,

  • d’une part, être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié,
  • et d’autre part, raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Pour la Cour de cassation :

  • le barème Macron d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse est conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) 
  • Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale : il n’y a donc pas de contrôle de conventionnalité in concreto des indemnisations, au cas par cas
  • La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct (c’est-à-dire que les Etats doivent traduire dans leurs textes nationaux les objectifs qui leur sont fixés par la Charte).

Le contrôle du respect de cette Charte sociale européenne est confié au Comité européen des droits sociaux (CEDS), un comité d’experts dont les décisions n’ont pas de caractère contraignant en droit français.

Cela signifie qu’un particulier (salarié ou employeur) ne peut pas invoquer un article de cette Charte devant un juge dans un litige qui l’oppose à un autre particulier.

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) est défavorable au barème Macron

Dans un rapport du 23 mars 2022, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a considéré que le barème Macron ne respecte pas l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Pour rappel, l’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement. Pour assurer l’exercice effectif de ce droit, les parties à la Charte s’engagent notamment à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquateou à une autre réparation appropriée.

Pour le CEDS, le barème Macron viole l’article 24 de la Charte sociale européenne puisque, selon lui, le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée n’est pas garanti :

  • les plafonds du barème ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par le salarié et être dissuasifs pour l’employeur ;
  • le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés, ce qui empêche de réparer le préjudice réel subi par le salarié ;
  • les autres voies de droit sont limitées à certains cas (on vise ici le licenciement nul).

Pour le CEDS, le barème Macron d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse ne garantit pas le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

Mais ce rapport est sans effet contraignant sur les juridictions françaises.

Ce qui signifie qu’à ce stade, que l’on estime que l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse est insuffisante ou non, ce sont bien les cadres fixés par le barème de l’article L 1235-3 du code du travail qui doivent s’appliquer.

Sauf dans les cas de licenciements nuls.

Sources :

Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23

Article L. 1235-3 du Code du travail

Cour de cassation, assemblée plénière, avis du 17 juillet 2019 : n° 19-70010 et n° 19-70011

Cour de cassation, chambre sociale, arrêts du 11 mai 2022 : n° 21-14490 et n° 21-15247 

Rapport du CEDS au comité des ministres du 23 mars 2022

Par Maitre Virginie LANGLET le 4 juillet 2022

Avocat au Barreau de Paris

8 rue Blanche – 75009 PARIS

Tél : 01.84.79.16.30

www.cabinet-avocats-langlet.fr

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