Les « barèmes Macron » à l’épreuve des Conseils de Prud’hommes

A travers diverses décisions, le « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause réelle ni sérieuse entre dans la tourmente judiciaire, avec des avis divergents, selon les juridictions.

Petit tour d’horizon des récents jugements rendus par les conseils de prud’hommes.

Le « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause

  • La cause réelle et sérieuse du licenciement

Rappelons, à titre liminaire, que tout licenciement, pour motif personnel comme pour motif économique, doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse (c. trav. art. L. 1232-1).

Une cause réelle est une cause établie, objective et exacte. Un motif sérieux résulte d’un fait qui rend impossible, sans dommage pour l’entreprise, la continuation du contrat de travail.

En cas de contentieux, le juge apprécie le caractère réel et sérieux du ou des motifs invoqués par l’employeur, en fonction des éléments fournis par les parties et, au besoin, après les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si un doute subsiste sur la légitimité de ces motifs, il doit profiter au salarié (c. trav. art. L. 1235-1).

  • La sanction du licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvre droit au profit du salarié à une indemnité.

Avant le 23 septembre 2017, tout licenciement jugé sans cause réelle ni sérieuse par le conseil de prud’hommes, donnait lieu à indemnisation pour le salarié.

Cette indemnisation était fixée en application de l’ancien article L.1235-3 du Code du travail : une indemnité à la charge de l’employeur d’au moins six mois de salaire dès que le salarié justifiait d’au moins 2 années d’ancienneté, dans une entreprise comportant plus de 11 salariés.

Ce plancher minimal de 6 mois d’indemnité était considéré favorable pour les salariés bénéficiant d’une ancienneté supérieure à 2 ans. Les montants d’indemnité variaient selon les juridictions, selon les cas, sans règle fixe.

Si le salarié bénéficiait d’une ancienneté inférieure à 2 années dans l’entreprise, il lui suffisait de démontrer au juge le préjudice subi du fait du licenciement non justifié.

Les montants d’indemnités étaient alors souvent intéressants pour les salariés, mais pouvaient avoir pour conséquence de mettre en péril l’équilibre économique et financier des plus petites entreprises, TPE et PME, qui, par ignorance et manque de personnel RH, avaient failli dans la procédure de licenciement.

Ainsi, c’est dans cette réflexion que l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a bouleversé les règles d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette ordonnance a imposé au juge prud’homal de respecter un barème de dommages et intérêts (ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23 ; c. trav. art. L. 1235-3 nouveau).

Ce barème fixe des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise en cause.

Ces nouvelles règles s’appliquent aux contentieux portant sur les licenciements prononcés à partir du 24 septembre 2017.

Désormais, le montant de l’indemnisation est enfermé dans un cadre strict dont le plancher est très inférieur à 6 mois de salaire.

Cette ordonnance a sonné le glas du plancher de 6 mois, au grand damne des salariés.

Ni les justiciables, ni les juges n’ont désormais de marge de manœuvre pour augmenter le montant d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les restrictions du « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause

Toutefois, cette limitation des indemnités ne s’applique qu’aux cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Ainsi, ce barème des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne s’applique pas aux indemnités versées à la suite d’un licenciement nul, dans les situations suivantes (c. trav. art. L. 1235-3-1) :

  • licenciement en violation d’une liberté fondamentale ;
  • licenciement consécutif à des faits de harcèlement moral ou sexuel (c. trav. art. L. 1152-3 et L. 1153-4) ;
  • licenciement discriminatoire (c. trav. art. L. 1134-4 et L. 1132-4) ;
  • licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle femmes/hommes (c. trav. art. L. 1144-3) ;
  • licenciement consécutif à la dénonciation de crimes et délits (c. trav. art. L. 1132-3-3) ;
  • licenciement lié à l’exercice de son mandat par un salarié protégé (représentants du personnel, etc.) ;
  • licenciement en violation de règles de protection prévues en cas de maternité, de paternité, d’adoption ou pendant les périodes de suspension du contrat liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle (c. trav. art. L. 1225-71 et L. 1226-13).

Dans ces cas-là, le salarié a droit à une indemnité d’au moins 6 mois de salaire, sans qu’aucun plafond ne soit prévu.

Malgré ces restrictions, qui ne sont pas des moindres, sitôt votée, l’ordonnance a été contestée devant les différentes juridictions.

La contestation du « barème Macron » d’indemnisation prud’homale du licenciement sans cause

Ces nouvelles dispositions ont soulevé un tollé, notamment auprès des défenseurs des salariés, au motif du défaut d’individualisation de l’indemnité en fonction de la situation du salarié et du préjudice subi.

Ainsi, avant même sa ratification, cette ordonnance avait fait l’objet, devant le Conseil d’État, d’une action en référé-suspension (c. justice administrative art. L. 521-1), sur le fondement :

  • d’une part, de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
  • d’autre part, de l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Le Conseil d’État avait toutefois jugé que le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entrait pas en contradiction avec ces traités, notamment parce que le juge français conservait une certaine marge de manœuvre, qui lui permettait d’accorder une réparation en lien avec le préjudice subi.

La juridiction administrative avait également noté que le code du travail prenait soin d’écarter le barème dans les cas justement les plus préjudiciables cités plus haut : licenciement nul, car discriminatoire, intervenu en violation d’une liberté fondamentale, dans un contexte de harcèlement, etc. comme vu plus haut. Pour le Conseil d’État, il n’y avait donc pas lieu de suspendre l’exécution de l’ordonnance (CE 7 décembre 2017, n° 415243).

Lors de l’examen de la loi de ratification des ordonnances Macron, le Conseil constitutionnel a pour sa part jugé le barème conforme à la Constitution, s’appuyant sur les mêmes arguments. En revanche, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur sa validité au regard de la Convention 158 de l’OIT, question qu’il estime ne pas être de sa compétence (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).

Le Conseil de prud’hommes est également le lieu privilégié de contestation dudit barème.

Les justiciables et leurs avocats ont pris l’habitude d’y évoquer la Convention 158 de l’OIT et la Charte sociale européenne.

L’objectif est clair : pousser les conseils de prud’hommes à ne pas appliquer le barème pour fixer le montant de leur indemnisation.

Ils s’appuient sur ces deux traités qui peuvent valablement être invoqués dans un litige entre un salarié et un employeur (CE 19 octobre 2005, n° 283471 ; Cass. soc. 29 mars 2006, n° 04-46499 ; CE 10 février 2014, n° 358992).

Les premiers jugements commencent à nous parvenir, et il est intéressant de constater que le débat fait rage, comme cela a pu l’être au moment des premières remises en cause des ruptures conventionnelles.

Ainsi :

  • le 26 septembre 2018, le Conseil de prud’hommes du Mans a refusé d’appliquer l’article 24 de la Charte sociale européenne et a considéré que le barème était conforme à la Convention 158 (CPH du Mans, 26 septembre 2018, RG F 17/00538) ;
  • le 13 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Troyes a considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne et la Convention 158 de l’OIT (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036) ;
  • Le 19 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes d’Amiens a, sur le seul fondement de la Convention 158, exclu le barème pour décider d’une indemnité plus « appropriée », selon la terminologie employée par la Convention (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040) ;
  • Le 21 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Lyon ne s’est pas attaché au barème, non mentionné, et pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a uniquement fait référence à la Charte sociale européenne (CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238).

Une décision du Conseil de Prud’hommes de Caen, du 18 décembre 2018 a appliqué le barème Macron et écarté l’argument de non-conformité à la Convention 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) et à la Charte sociale européenne (CPH de Caen, 18 décembre 2018, RG F 17/00193).

Ces décisions ouvrent donc une période d’incertitude, synonyme d’insécurité juridique.

En effet, si certains conseils de prud’hommes vont vouloir s’inscrire dans la jurisprudence « Troyes-Amiens-Lyon », d’autres préféreront s’en tenir à celle plus orthodoxe du conseil de prud’hommes du Mans et de celui de Caen.

Il convient de noter également qu’aucune décision rendue ne l’est par la section encadrement des CPH, qui traditionnellement, alloue des indemnités d’un montant supérieur, eu égard eu niveau de rémunération plus important généralement, des salariés cadres.

Nous attendons donc les premiers arrêts de Cours d’appel, puis plus tard, de la Cour de Cassation, qui trancheront définitivement de la question de savoir si le barème Macron est conforme ou non à la convention 158 de l’OIT et/ou à la Charte sociale européenne.

Ces décisions controversées de première instance ont au moins le mérite de relancer le débat portant sur l’indemnisation du licenciement sans cause et le contentieux prud’homal un peu ralenti, il est vrai ces deux dernières années.

Affaire à suivre donc…..

Sources :

Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23

Article L. 1235-3 nouveau du Code du travail

Conseil d’Etat, arrêt du 7 décembre 2017 : n° 415243

Conseil constitutionnel, décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31

Conseil d’Etat, arrêt du 19 octobre 2005 : n° 283471

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 29 mars 2006 : RG n° 04-46499

Conseil d’Etat, arrêt du 10 février 2014 : n° 358992

Conseil de Prud’hommes du Mans, section commerce, jugement du 26 septembre 2018, RG F 17/00538

Conseil de Prud’hommes de Troyes, section activités diverses, jugement du 13 décembre 2018 : RG F 18/00036

Conseil de Prud’hommes d’Amiens, section commerce, jugement du 19 décembre 2018 : RG F 18/00040

Conseil de Prud’hommes de Lyon, section activité diverses, jugement du 21 décembre 2018 : RG F 18/01238

Conseil de Prud’hommes de Caen, section départage, jugement du 18 décembre 2018 : RG F 17/00193

Par Maitre Virginie LANGLET le 28 janvier 2019

Avocat au Barreau de Paris

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