Le harcèlement moral existe en dehors de la relation de travail stricte

Le harcèlement moral est possible même entre des personnes qui ne font pas partie de la même entreprise, mais qui travaillent ensemble dans les mêmes locaux (Cass. Crim. 09.05.2019 : n°18-83510).

Définition du harcèlement moral

Le harcèlement moral se définit par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (c. trav. art. L. 1152-1).

Les éléments constitutifs du harcèlement moral : les agissements répétés

Le harcèlement moral devant résulter d’agissements répétés, il ne peut pas s’agir d’un acte isolé, même grave. 

Les agissements répétés peuvent en revanche être de même nature (ex. : une mise à l’écart qui perdure) (Cass. crim. 26 janvier 2016, n° 14-80455)

Ainsi, ne peut être constitutif de harcèlement moral le fait unique, isolé tel que :

  • une rétrogradation injustifiée (Cass. soc. 09.12.2009, n° 07-45521
  • un changement d’affectation (Cass. soc. 20.11.2014, n° 13-22045) ;
  • des écarts de langage tenus sur une même journée (Cass. soc. 05.11.2014, n° 13-16729)

Le harcèlement moral se caractérise par des agissements fautifs répétés. Cela signifie que ces agissements peuvent se dérouler sur une courte période (Cass. soc. 26.05.2010, n° 08-43152).

Les éléments constitutifs du harcèlement moral : la dégradation des conditions de travail de la victime

La dégradation des conditions de travail est la conséquence des agissements de harcèlement moral.

Elle en est l’un des éléments constitutifs.

La simple possibilité d’une dégradation des conditions de travail du salarié victime suffit à caractériser le harcèlement moral (Cass. crim. 06.12.2011, n° 10-82266).

Il importe peu que l’auteur du harcèlement n’ait pas délibérément cherché à nuire au salarié.

Les éléments constitutifs du harcèlement moral : l’atteinte à la dignité, la carrière ou la santé du salarié

Les actes fautifs peuvent être qualifiés de harcèlement moral dès lors qu’ils ont entraîné une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la dignité ou à la santé du salarié, ou de compromettre son avenir professionnel (Cass. soc. 10.11.2009, n° 08-41497 ; Cass. soc. 15.11.2011, n° 10-30463).

L’auteur du harcèlement moral : un supérieur hiérarchique ou un subordonné

Le harcèlement moral n’est pas nécessairement exercé par un supérieur hiérarchique sur un salarié subordonné.

Sur le plan pénal, les juges ont reconnu que même un subordonné peut se rendre coupable de harcèlement moral vis-à-vis de son supérieur (Cass. crim. 6 décembre 2011, n° 10-82266 précité)

Les agissements de harcèlement moral entre deux personnes qui n’appartiennent pas à la même entreprise

La Cour de cassation, sur le plan pénal, est allée plus loin encore.

Par un arrêt du 9 mai 2019 (Cass. Crim. 09.05.2019 : n°18-83510), elle a reconnu que des agissements de harcèlement moral pouvaient avoir eu lieu et être sanctionnés, entre deux personnes qui partageaient un bureau mais ne faisaient pas partie du personnel de la même entreprise.

En l’espèce, il s’agissait d’une présidente d’association d’aide aux familles de gendarmes qui s’est rendue fautive de harcèlement moral contre un commandant de compagnie de gendarmerie, compagnie dans laquelle la présidente de l’association disposait d’un bureau.

La présidente de cette association d’aide aux familles de gendarmes avait eu la possibilité de disposer d’un bureau au sein de la compagnie de gendarmerie où travaillait son mari.

Cette présidente était entrée en conflit avec le commandant de la compagnie et, avec le concours de son mari, n’avait cessé de se plaindre de lui, adressant de nombreux courriers aux supérieurs de l’intéressé et le dénigrant auprès de ses subordonnés.

Confronté pendant deux ans à des récriminations incessantes, le commandant de la compagnie avait dû faire l’objet d’un suivi pour un état anxiodépressif. Il avait finalement été muté dans le cadre d’une « promotion » qui lui avait en réalité été imposée pour mettre fin au conflit.

L’officier de gendarmerie avait ensuite déposé plainte auprès du procureur de la République pour harcèlement moral.

La question qui se posait était de savoir s’il était possible de condamner pour harcèlement moral une personne non liée par un contrat de travail au service concerné, service dans lequel travaille la victime.

Dans l’arrêt du 7 mai 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative et a condamné la présidente de l’association pour harcèlement moral.

Pour les juges, par ses propos et son comportement, l’intéressé avait provoqué une dégradation des conditions de travail du commandant de la compagnie, laquelle avait porté atteinte à ses droits et à sa dignité, altéré sa santé physique ou mentale et compromis son avenir professionnel (c. pén. art. 222-33-2).

Cet arrêt est très intéressant en ce qu’il vient reconnaitre pour la première fois, des agissements de harcèlement moral entre deux personnes qui, en apparence, n’étaient pas dans une relation de travail.

La chambre criminelle avait précédemment refusé de se placer sur le terrain du harcèlement moral pour régler un conflit entre un médecin et un psychologue qui partageaient les mêmes locaux professionnels, en raison, justement, de l’absence de relation de travail entre les deux professionnels de santé (Cass. crim. 13.12.2016, n° 16-81253).

Mais dans l’affaire qui nous occupe, la présidente de l’association ne faisait pas que côtoyer le commandant de gendarmerie.

Elle exécutait ses missions au sein de la gendarmerie au service exclusif des personnels de gendarmerie dont elle recevait des subventions.

Elle était considérée comme un prestataire de service présent de manière habituelle sur le lieu de travail.

Ainsi, par analogie, on peut désormais s’interroger du cas de situations comparables en entreprise, avec des actes de harcèlement commis par un prestataire de services ou un consultant.

Jusqu’à présent, la chambre sociale de la Cour de cassation a toujours réglé la question en mettant en cause la responsabilité du seul employeur : les salariés victimes d’actes de harcèlement moral commis par une tierce personne qui exercent une autorité sur eux, par exemple un prestataire, peuvent agir contre l’employeur devant le conseil de prud’hommes (Cass. soc. 1er mars 2011, n° 09-69616).

La situation va peut-être évoluer en faveur d’une véritable sanction de l’auteur des agissements de harcèlement moral…

Affaire à suivre donc.

Sources :

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 7 mai 2019 : RG n°18-83510 D

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 26 janvier 2016 : RG n° 14-80455

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 9 décembre 2009 : RG, n° 07-45521

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 20 novembre 2014 : RG n° 13-22045

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 5 novembre 2014 : RG, n° 13-16729

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 26 mai 2010 : RG n° 08-43152

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 6 décembre 2011: RG n° 10-82266

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 10 novembre 2009: RG n° 08-41497

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 15 novembre 2011: RG n° 10-30463

Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 13 décembre 2016 : RG n° 16-81253

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 1er mars 2011: RG n° 09-69616

Par Maitre Virginie LANGLET le 24 juin 2019

Avocat au Barreau de Paris

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Tél : 01.84.79.16.30

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