Dénigrer son employeur est un abus de la liberté d’expression
Même la liberté d’expression des salariés a ses limites.
Dénigrer son employeur et répandre des fausses rumeurs auprès des clients de l’entreprise et des autres salariés est une faute grave et justifie un licenciement.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mars 2024 (Cass. soc. 20 mars 2024, n° 22-14465).
Sommaire
Le salarié jouit dans l’entreprise de la liberté d’expression …
Le salarié bénéficie dans l’entreprise de la liberté d’expression (article L 1121-1 du Code du travail).
Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression (Cass. soc. 14 décembre 1999, n° 97-41995).
La faculté d’exprimer en toutes circonstances ses opinions renvoie aux libertés reconnues à tout citoyen et proclamées par le Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel (Cons. Const. N° 2009-577 DC, 3 mars 2009), l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
… sous réserve de l’abus de droit.
Mais le salarié a un devoir de correction à l’égard de son employeur mais aussi des autres salariés et des tiers à l’entreprise (clients, fournisseurs…). A fortiori toute injure ou violence est sanctionnée.
C’est ainsi que la liberté d’expression a des limites notamment l’interdiction de tenir des propos diffamants, injurieux ou excessifs.
Si les propos tenus par le salarié ne sont ni injurieux ni vexatoires, le salarié n’excédait pas les limites de la liberté d’expression (Cass. Soc. 06 mai 2015 : n°14-10781
L’abus de la liberté d’expression est une faute grave
Lorsque cet abus est caractérisé, il peut entraîner, selon les circonstances, un licenciement pour faute grave (Cass. soc. 7 octobre 1997, n° 93-41747).
Attention, l’abus dans la liberté d’expression ne caractérise pas à lui seul une faute grave pouvant justifier un licenciement.
Il faut toujours analyser les circonstances et le contexte dans lesquels le salarié a usé de sa liberté d’expression (ancienneté du salarié, fonctions exercées, teneur des propos, etc.). Cass. soc. 8 décembre 2021, n° 20-15798).
Les propos dénigrants et déplacés, la mise en cause l’honnêteté de son employeur est un abus de la liberté d’expression
L’arrêt du 20 mars 2024 est un nouvel exemple de l’attitude abusive d’un salarié (Cass. soc. 20 mars 2024, n° 22-14465).
Dans cette affaire, le salarié occupait le poste de conseiller sportif par une salle de sport.
Il avait été licencié pour faute grave car son employeur lui reprochait d’avoir tenu des propos dénigrants et déplacés mettant en cause l’honnêteté des dirigeants.
Le salarié, quant à lui, estimait n’avoir fait qu’utiliser sa liberté d’expression sans aucun abus. Il affirmait n’avoir pas commis d’abus dans la mesure où les propos rapportés, tenus dans le cadre de stricts échanges entre l’employeur et le salarié ou une collègue, ne contenaient aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif.
Il avait saisi le conseil de prud’hommes pour contester le licenciement.
Il avait été débouté, en 1ère instance et par la cour d’appel.
Les juges ont considéré que les propos étaient dénigrants et déplacés puisqu’ils mettaient en cause l’honnêteté des dirigeants et excédaient manifestement la liberté d’expression du salarié au sein de l’entreprise.
Il s’agissait donc bien d’un abus de la liberté d’expression du salarié.
Pour la petite histoire, les propos du salarié étaient les suivants :
Il avait indiqué à une collègue que ses employeurs n’étaient pas des gens sur qui on pouvait compter, qu’ils ne pensaient qu’à « choper un maximum d’adhérentes » et n’étaient que des vicieux qui ne tenaient pas leurs engagements par rapport à lui et que si un jour ils pouvaient « la leur mettre bien profond » ils n’hésiteraient pas…
Il avait ajouté, par écrit : « C’est devenu une habitude pour vous de vivre dans le mensonge », « on m’a toujours dit de ne pas travailler avec vous, vu toutes les affaires dans lesquelles vous êtes mêlés et là je suis en train de me rendre compte à quel point vous pouvez être indifférents ».
Chacun sera libre d’apprécier.
Conclusion : le salarié a été débouté jusqu’à la Cour de cassation. Il y avait bien un abus à la liberté d’expression.
Sources :
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 20 mars 2024 : n° 22-14465
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 14 décembre 1999 : n°97-41995
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 06 mai 2015 : n°14-10781
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 7 octobre 1997 : n°93-41747
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 8 décembre 2021 : n°° 20-15798
Par Maitre Virginie LANGLET le 15 novembre 2024
Avocat au Barreau de Paris
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