Rupture conventionnelle dans un contexte de harcèlement moral : le vice du consentement cause de nullité

En l’absence de vice du consentement au moment de la signature de la rupture conventionnelle, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas, en elle-même, la validité de la rupture conventionnelle (Cass. Soc. 23.01.2019 : RG n° 17-21550).

La Cour de cassation, par cet arrêt, apporte encore des précisions à sa jurisprudence en matière de rupture conventionnelle.

La rupture conventionnelle est le mode amiable de rupture du CDI

Rappelons que la rupture conventionnelle est un mode alternatif de rupture du contrat de travail, à côté du licenciement et de la démission.

Elle est régie par les articles L 1237-11 et suivants du code du travail.

La rupture conventionnelle fait l’objet d’un contrat, signé par deux parties, l’employeur et le salarié.

Seule la rupture conventionnelle est permise pour rompre un contrat de travail à durée indéterminée.  L’employeur qui conclut avec un salarié une rupture d’un commun accord hors du cadre de la rupture conventionnelle risque de voir celle-ci requalifiée par les juges en un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences financières que cela implique.

Seul le CDI est visé par la rupture conventionnelle.

La procédure de rupture conventionnelle : 3 étapes

Les dispositions L 1237-11 et suivants du Code du travail prévoient 3 étapes pour la signature de la rupture conventionnelle :

  • Première étape : la convocation à un entretien.

Au terme de cet entretien, l’employeur et le salarié se mettent d’accord sur le principe et le montant de la rupture du contrat de travail.

Lors de cet entretien, le salarié tout comme l’employeur peuvent se faire assister.

Si l’employeur n’informe pas le salarié de son droit à assistance pendant le ou les entretiens ou de son droit de prendre contact auprès de Pôle Emploi pour envisager la suite de son parcours professionnel, cela n’entraîne pas en soi la nullité de la convention de rupture.

Le salarié doit prouver que son consentement n’était pas libre et éclairé à cause de ce défaut d’information (Cass. soc. 29.01.2014 : n°12-27594 ; 12-25951).

Il en est de même si l’employeur n’a pas informé (ou a mal informé) le salarié de ses droits à chômage : la rupture conventionnelle ne sera remise en cause que si ce défaut d’information a vicié le consentement du salarié (Cass. soc. 5 novembre 2014, n°13-16372).

Le salarié peut se faire assister par un autre salarié de l’entreprise (ex. : délégué syndical ou délégué du personnel) ou, en l’absence de représentant du personnel dans l’entreprise, par un conseiller choisi sur une liste dressée par l’administration. Il en informe alors l’employeur.

  • Seconde étape : la signature de la rupture conventionnelle par l’employeur et le salarié qui ouvre le délai de rétractation de 15 jours calendaires

La convention de rupture signée doit comporter la mention exacte de la date de fin du contrat.

Elle doit comporter également le montant inscrit en chiffres et en lettres de l’indemnité versée au salarié. Cette indemnité de rupture conventionnelle ne peut pas être inférieure au montant de l’indemnité de licenciement.

Chaque partie doit conserver un exemplaire signé de la convention de rupture.

En effet, la convention de rupture – tout comme le formulaire – doit être établie en trois exemplaires identiques, afin que chaque partie puisse en conserver un et que l’administration puisse en disposer d’un original.

Si l’employeur ne remet pas un double de la convention de rupture au salarié, ce dernier peut obtenir des juges l’annulation de la rupture conventionnelle. La rupture du contrat de travail a alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences financières que cela implique pour l’entreprise (Cass. soc. 06.02.2013 : n°11-27000).

Le formulaire de rupture conventionnelle doit être daté et signé par l’employeur et le salarié et faire figurer à côté de la signature la mention « lu et approuvé ».

Des litiges peuvent survenir s’il manque une de ces mentions, c’est la raison pour laquelle il est important de vérifier qu’elles figurent toutes au bas du formulaire avant de l’adresser à la DIRECCTE.

En pratique, si le salarié signe uniquement, sans dater ni faire précéder sa signature de la mention « lu et approuvé », le libre consentement ne serait pas garanti et la convention de rupture serait donc nulle (CA Lyon, ch. soc. C, 23 septembre 2011, n° 10-09122).

En revanche, si seule la mention « lu et approuvé » manque, cela pourrait ne pas remettre en cause la validité de la convention de rupture sachant que cette mention inscrite au bas d’un écrit sous seing privé constitue une formalité dépourvue de portée (Cass. civ. 1re ch., 30 octobre 2008, n° 07-20001 ; CA Reims, ch. soc., 9 mai 2012, n° 10-01501).

À compter du lendemain de la signature de la convention, l’employeur et le salarié bénéficient d’un délai de 15 jours calendaires pour renoncer à la rupture et se rétracter. Ce délai débute le lendemain du jour de la signature et s’achève le 15e jour à minuit.

Durant ce délai, le salarié tout comme l’employeur peuvent exercer leur droit de rétractation, et renoncer au bénéfice de la rupture conventionnelle.

Celui qui use de ce droit en informe l’autre par courrier.

Si aucune des parties n’a exercé son droit de rétractation, l’employeur – ou la partie la plus diligente, doit au lendemain du terme de ce délai de rétractation, adresser un exemplaire de la convention à la DIRECCTE, aux fins d’homologation.

  • Troisième étape : l’homologation par la DIRECCTE.

La DIRECCTE dispose d’un délai de 15 jours ouvrables pour se prononcer et homologuer ou non.

La date d’échéance de ce délai d’instruction est celle à laquelle l’employeur et le salarié reçoivent de manière effective le courrier de l’administration (Cass. Soc. 16.12.2015 : n°13-27212).

Une fois passé le délai d’instruction, l’absence de décision explicite du DIRECCTE vaut acceptation de la convention de rupture conventionnelle.

Le contrat de travail est alors rompu et le salarié sort des effectifs de l’entreprise.

Rupture conventionnelle et liberté de consentement des parties

La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’employeur ou le salarié (article L 1237-11 c. trav.).

Elle doit reposer sur le consentement libre et mutuel de chacune des parties, employeur et salarié (c. civ. articles 1128, 1130, 1131).

Si le consentement de l’un ou de l’autre est vicié, la rupture conventionnelle est nulle et a alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 16.09.2015 : n°14-13830).

Pour autant, l’existence, au moment de la conclusion d’une rupture conventionnelle, d’un différend entre l’employeur et le salarié n’affecte pas, par elle-même, la validité de la convention de rupture (Cass. soc. 26.06.2013, n° 12-15208 ; Cass. soc. 03.07.2013, n° 12-19268 ; Cass. soc. 15.01.2014, n° 12-23942).

Jusqu’à présente, on avait considéré que si un salarié est, au moment de la signature de la rupture conventionnelle, dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont il est victime et des troubles psychologiques qui en résultent, son consentement était de fait vicié (c. civ. art. 1140 à 1143).

La Cour de Cassation avait estimé que dans ce contexte de harcèlement moral, la DIRECCTE ne devait pas homologuer la rupture conventionnelle.

Si la rupture était homologuée, le salarié pouvait alors saisir les juges pour la faire annuler.

Cette annulation avait alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 30 janvier 2013, n° 11-22332).

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 23 janvier 2019 (Cass. Soc. 23.01.2019 : RG n° 17-21550) a fait évoluer sa position.

En l’espèce, une salariée engagée au poste d’agent administratif et commercial avait signé une rupture conventionnelle avec son employeur.

La salariée avait saisi la juridiction prud’homale pour obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle intervenue dans un contexte de harcèlement moral qu’elle dénonçait.

La Cour d’appel avait fait droit à la demande de la salariée et prononcé la nullité de la convention.

La Cour de Cassation a censuré l’arrêt d’appel, optant pour une position nouvelle.

Pour la Haute Juridiction, en l’absence de preuve d’un vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

En conclusion, désormais, la Cour de Cassation exige que le salarié rapporte la preuve à un double niveau :

  • Il devra rapporter la preuve de faits de harcèlement moral (des agissements répétés ayant entrainé une dégradation des conditions de travail du salarié ainsi qu’une dégradation de son état de santé) ;
  • Il devra également et surtout rapporter la preuve que ces agissements de harcèlement moral ont entrainé un vice de son consentement, altérant par là même sa liberté de consentement.

On constate donc que la Cour de Cassation durcit encore davantage le régime de la nullité de la rupture conventionnelle et fait reposer cette dernière sur la seule liberté du consentement, peu important en définitive son contexte (rappelons que même en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la rupture conventionnelle est validée).

Sources :

Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 23 janvier 2019 : RG n° 17-21550

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêts du 29 janvier 2014 : RG n°12-27594 ; 12-25951

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 5 novembre 2014 : RG n°13-16372

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 6 février 2013 : RG n°11-27000

Cour d’Appel de Lyon, ch. soc. C, arrêt du 23 septembre 2011, RG n° 10-09122

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 30 octobre 2008, RG n° 07-20001 

Cour d’Appel de Reims, ch. soc., arrêt du 9 mai 2012, RG n° 10-01501

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 16 décembre 2015 : RG n°13-27212

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 16 septembre 2015 : RG n°14-13830

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 26 juin 2013 : RG n° 12-15208

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 3 juillet 2013 : RG n° 12-19268

Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 15 janvier 2014 : RG n° 12-23942

Par Maitre Virginie LANGLET le 25 février 2019

Avocat au Barreau de Paris

8 rue Blanche – 75009 PARIS

Tél : 01.84.79.16.30

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